Revue des marchés du 4e trimestre 2021

COMMENTAIRE ÉCONOMIQUE

Insensibles à la perspective d’un resserrement de la politique monétaire à court terme aux États-Unis et au retrait progressif des mesures de soutien budgétaire d’urgence, les marchés boursiers ont affiché de solides résultats au quatrième trimestre. Plus précisément, l’indice MSCI All Countries World, l’indice S&P 500 et l’indice S&P TSX 60 ont progressé de 7,03%[1], 11,03% et 7,19 %, respectivement. Pour 2021, les indices ci-dessus ont bondi de 20,90 %, 28,71 % et 28,05 %, respectivement.

Presque tous les segments des marchés boursiers ont été positifs pour le trimestre. L’exception notable a été l’indice MSCI Marchés émergents qui a terminé le trimestre avec une performance de -0,90% après avoir été touché de manière disproportionnelle par l’émergence du variant Omicron dans la province sud-africaine de Gauteng à la fin novembre.

Fait intéressant, la variante Omicron n’a pas non plus eu beaucoup d’impact sur les marchés obligataires. En effet, l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global Gouvernement Bond était en hausse d’un modeste 0,18% au cours du 4ème trimestre. L’indice s’est apprécié temporairement suite à l’arrivée du nouveau variant en présumant que sa propagation pourrait amener les banques centrales à reporter la fin de leurs programmes d’assouplissement quantitatif. Cependant, l’indice a reculé en décembre lorsqu’il est devenu clair qu’Omicron était une souche plus douce que Delta, nonobstant sa plus grande contagiosité. Pour 2021, l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global Government Bond a rapporté -2,29% en raison d’un premier trimestre difficile alors que les taux d’intérêt ont augmenté de 0,29% en moyenne selon les pays et les échéances[2].

Les matières premières, représentées par l’indice S&P GSCI Total Return, ont gagné 1,51%. La classe d’actifs a été particulièrement volatile durant le trimestre en raison d’importants mouvements à la hausse et à la baisse du prix du pétrole brut Brent qui a grimpé de 76$/baril à près de 84$/ baril avant de replonger sous la barre des 69$/baril lorsque Omicron a fait surface. Pour l’année, l’indice S&P GSCI Total Return, a gagné 40.35%.

GREENWASHING À GLASGOW?

Chaque année, depuis la tenue de la première Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Berlin en 1995, un long cortège de diplomates, de scientifiques, de lobbyistes, d’élus et de dirigeants d’entreprise se réunissent pour évaluer les progrès réalisés dans la lutte contre les changements climatiques et établir des protocoles pour la mise en place d’une action climatique mondiale concertée.  La 26e édition de la Conférence des Parties[3] (« COP26 »), s’est tenue à Glasgow, en Écosse, du 31 octobre au 12 novembre.

Les COP sont loin d’être parfaites. En effet, étant donné que tous les accords formels doivent être ratifiés à l’unanimité, leur rythme est fixé par les pays qui sont les moins disposés à faire des compromis. Ceux-ci ont tendance à être ceux qui bénéficient du statu quo et dont les intérêts nationaux stratégiques se heurtent le plus à l’intérêt du monde. Pourtant, les COP constituent actuellement le seul forum dont dispose le monde dans son effort d’atténuer et de s’adapter aux changements climatiques, certainement la plus grande menace à laquelle l’homo sapiens has a fait face depuis l’aube de l’anthropocène. C’est peut-être ce qui fait dire aux alarmistes, depuis les parties ont officiellement reconnu l’objectif du quatrième rapport d’évaluation du GIEC[4] de contenir le réchauffement climatique à 2° Celsius avant 2100 lors de la COP16 à Cancún, que chacune de ces réunions est la réunion de la dernière chance.

Les enjeux étaient nombreux et délicats lors de l’événement de cette année pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il a accueilli à nouveau les États-Unis aux négociations, le président Biden ayant réintégré le groupe peu de temps après son inauguration. Deuxièmement, c’était la date limite pour que les pays soumettent les mises à jour de leurs contributions nationales déterminées («CND»)[5].

À la fin du sommet de la COP26, des progrès importants avaient été réalisés dans un certain nombre de domaines clés. D’abord et avant tout, les représentants ont finalisé le règlement de l’Accord de Paris, le rendant ainsi opérationnel[6]. Il est important de noter que la mise en œuvre de l’article 6 conduira finalement à l’adoption d’un marché mondial d’échange de droits d’émission de carbone grâce à l’établissement de liens entre les programmes nationaux et régionaux existants[7]. Cela rendra inévitablement ces marchés plus liquides et transigeables. Au-delà de ces progrès, la COP26 a également vu les délégués s’engager plus vigoureusement à réduire les émissions de méthane, à stopper la perte et les dommages forestiers, à accélérer la mise au rebut du moteur thermique et à mettre fin à l’extraction de charbon. En parallèle, un collectif de grandes sociétés financières s’est également engagé à rendre son portefeuille carbo-neutre d’ici 2030, reconnaissant ainsi les risques liés aux actifs et aux industries à forte intensité de carbone. À en juger par ces avancées, le sommet de Glasgow est allé au-delà du simple... greenwashing.

Cependant, il y a aussi eu des déceptions. Par exemple, les Nations Unies estiment que les CND soumises à ce jour ne sont pas suffisantes pour maintenir l’objectif de limiter l’augmentation de la température à 2,5° Celsius. Entre autres, les CND soumises par certains parmi les principaux émetteurs sont particulièrement timides et contredisent leur ambition. Heureusement, ces pays ont accepté de renforcer leurs objectifs de réduction des émissions pour 2030. La COP27, qui se tiendra en novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte, sera l’occasion de le faire.

Bien qu’il y ait encore très peu de visibilité sur les projets qui seront priorisés et les technologies qui seront adoptées, une conclusion que nous pouvons tirer en ce qui a trait à l’investissement est que les perspectives à long terme pour un investisseur en actions dans les industries liées aux combustibles fossiles se sont passablement assombries. À court terme, cependant, le portrait n’est pas aussi clair et nous pensons que le secteur restera sujet à un risque de hausse de prix important. En effet, comme moins   d’investisseurs et de prêteurs sont convaincus d’y participer, cela peut entraîner des pénuries chroniques d’approvisionnement qui pourraient ne pas être facilement résolues si les sources d’énergie renouvelables ne deviennent pas disponibles à temps. Espérons seulement que les élus n’utilisent pas la prochaine crise comme excuse pour retarder ou annuler leurs engagements climatiques à des fins politiques à court terme.

LE « MARKET TIMING » N’EST PAS TOUT

Dans les premiers jours de janvier, de nombreux investisseurs profitent de l’occasion pour réfléchir aux récents événements du marché et se demander si leur portefeuille d’investissement est bien positionné pour ce qui se profile. Au cours des dernières années, tel que mentionné précédemment, l’investissement a été, pour la plupart, un exercice relativement agréable. À en juger par le ratio de couverture des grands investisseurs institutionnels du moins, la performance récente a été supérieure aux attentes à long terme[8].

Certains investisseurs qui aiment définir les choses en noir ou blanc peuvent répondre de manière diamétralement opposée au passé récent, en fonction de leurs circonstances. Prenons l’exemple de l’inflation.  Les pessimistes pourraient conclure que l’inflation élevée persistera ou même s’aggravera en raison des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, des goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement qui persistent et du sous-investissement chronique dans le secteur de l’énergie. Pour eux, le moment est venu de se concentrer en encaisse et autres actifs sûrs, car l’inflation est sur le point de devenir incontrôlable. Les optimistes, d’autre part, peuvent faire valoir que le ralentissement dans le secteur de la construction résidentielle en Chine, associé au vieillissement de la démographie, aux niveaux d’endettement nominaux élevés et à la probabilité que nous serons à court de lettres grecques avant la fin de la pandémie de covid-19 sont de puissantes forces déflationnistes. Pour eux, la conclusion logique est d’investir exclusivement dans des actions de sociétés du secteur des technologies de l’information ou des services de communication sous prétexte que ce segment continuera d’être le secteur le plus performant pour l’avenir prévisible car l’inflation reculera et il n’y aura aucune raison pour que les banques centrales augmentent les taux d’escompte.

Nous sommes d’avis que rien n’est jamais entièrement noir ou blanc. En tant que produit de forces qui s’opposent, l’univers est plutôt gris. Ainsi, positionner un portefeuille pour des scénarios totalement noirs ou totalement blancs n’est pas optimal pour deux raisons. La première est que ces décisions sont conçues pour fonctionner superbement bien pour un éventail très restreint de scénarios futurs, mais fonctionnent de manière atroce dans tous les autres scénarios. Par exemple, un portefeuille d’encaisse et équivalents surperformera si tous les autres actifs se déprécient, mais représentera un coût d’opportunité énorme si ça ne se produit pas. De même, un portefeuille composé exclusivement de compagnies cotées en bourse basées dans la Silicon Valley générera des gains exceptionnels si le prix que les différents intervenants sont prêts à payer pour les entreprises ayant de fortes perspectives de croissance augmente encore, mais ce portefeuille devrait nettement sous-performer si ce scénario ne se concrétise pas. La deuxième raison est que les transactions importantes dans un portefeuille ont tendance à faire cristalliser une charge fiscale importante qui aurait autrement été répartie sur plusieurs années. Nous sommes conscients que le paiement de l’impôt sur le revenu et des gains en capital est un phénomène inévitable à long terme. Cependant, la valeur actualisée de l’impôt va être beaucoup plus élevée si cela survient dans un avenir rapproché. Ceci va donc avoir un impact négatif sur la valeur actualisée du portefeuille.

Tous les investisseurs comprennent ces concepts mais certains souscrivent néanmoins aux solutions en noir ou blanc parce qu’ils sont confiants qu’ils seront en mesure d’anticiper le développement de conditions qui viendront invalider leur scénario de base et se repositionneront en conséquence. Cette approche est souvent appelée « market timing ». Le market timing est l’acte d’acheter et de vendre à partir de méthodes prédictives. L’idée est que si quelqu’un peut prévoir avec précision la direction du marché, il ou elle peut transiger pour maximiser les profits ou éviter les pertes. Bien que l’idée soit attrayante en théorie, en pratique, très peu ont démontré la capacité de le faire avec succès de manière répétée. En fait, nous soupçonnons que cette stratégie est même devenue plus difficile au fil des ans. D’abord, il y a plus de personnes ayant des connaissances financières avec un accès gratuit à l’information et aux outils pour la traiter qu’il n’y en a jamais eu. L’époque où un gestionnaire de placements pouvait envoyer un chauffeur de taxi à l’aéroport la Guardia à 2 heures du matin pour récupérer une copie du Financial Times pour en extraire des informations préciseuses avant tout le monde est révolue. L’époque où les rapports annuels des sociétés ouvertes étaient remis par la poste aux actionnaires est aussi révolue. L’époque où un gestionnaire professionnel pouvait obtenir un avantage compétitif avec un modèle supérieur pour la négociation d’un instrument financier complexe est révolue. L’information est omniprésente et est instantanément commentée par des essaims de professionnels de l’investissement.

Dans cet esprit, nous avons conclu que le market timing n’est pas une approche valide pour offrir de la valeur ajoutée aux familles qui nous ont confié la gestion discrétionnaire de leur patrimoine. En fait, nous pensons que plus souvent qu’autrement, les marchés financiers reflètent fidèlement toutes les informations disponibles et que plus souvent qu’autrement, nous ne posséderons humblement pas d’informations supérieures.

Si nous croyons que le market timing n’en est pas une, quelles sont les sources de valeur ajoutée que nous apportons à nos familles. Eh bien, nous pensons qu’une bonne alternative est de tâcher de mieux comprendre comment chaque type d’actif se comporte dans différents environnements et comment ils répondent aux changements dans les attentes consensuelles sur la base d’un examen approfondi de leur comportement historique et de leurs interactions avec les autres. Cela nous permet de produire des attentes plus réalistes sur la façon dont différentes combinaisons d’actifs peuvent se comporter à l’avenir pour un large éventail de scénarios, y compris les scénarios en noir ou blanc. Cela nous amène à construire des portefeuilles dont l’objectif n’est pas de produire les meilleurs résultats dans un scénario donné, mais plutôt d’être résilients pour un large éventail de scénarios tout en s’efforçant d’éviter les résultats qui compromettraient leur capacité à atteindre les objectifs financiers à long terme de nos familles compte tenu de leur profil de risque. Comme nous ne savons pas quel scénario se concrétisera, nous pensons qu’il est préférable d’être préparé pour plsieurs d’entre eux, noir, blanc ou gris. C’est notre stratégie de valeur ajoutée.

Cela dit, cela ne signifie pas que nous ne transigeons jamais. En fait, bien que nous respections fortement les consensus, nous sommes également conscients que dans certains cas, les actions des intervenants ne sont pas nécessairement motivés par le profit et que cela peut amener les valorisations des actifs à s’éloigner des valorisations d’équilibre. Les achats massifs d’obligations d’État par les banques centrales en sont un exemple. Un autre exemple serait le nombre croissant de stratégies passives qui, par construction, achètent et vendent simplement des actifs en fonction de leur capitalisation boursière ou de la taille de leur émission. Ce sont des circonstances du genre qui nous amèneront à articuler des points de vue qui ne sont pas consensuels et souvent contraires au consensus. Cependant, ces circonstances sont l’exception, plutôt que la norme. C’est aussi pourquoi les changements de portefeuille que nous préconisons ont tendance à être peu fréquents et graduels. D’une certaine manière, moins il y a de transactions et de changements dans un portefeuille, plus il s’agit d’un bon indicateur de sa robustesse.

À priori, 2022 ne sera probablement pas différente en termes de transactions de portefeuille car nous ne pensons pas que nos points de vue diffèrent sensiblement du consensus. Il y a bien sûr quelques exceptions. L’une de ces exceptions est que les taux d’intérêt sur les taux des obligations d’État dont les échéances se situent entre 2 et 7 ans semblent trop bas par rapport aux attentes d’inflation sur ces horizons. Soit les taux nominaux augmentent, soit les attentes d’inflation diminuent. Cela stimule les efforts continus de notre côté pour rechercher des investissements à faible risque avec un potentiel de rendement plus élevé que les titres à revenu fixe. Un autre domaine où nos points de vue semblent différents du consensus est la valeur du dollar américain par rapport à la monnaie d’autres pays développés. Le dollar américain a effectivement joui du statut de monnaie de réserve mondiale depuis le déclin de l’Empire britannique. Ce statut est tributaire d’un certain nombre de facteurs tels que l’empreinte économique des États-Unis dans les échanges mondiaux de biens et de services, sa puissance militaire brute et la confiance des étrangers dans la gouvernance de ses institutions, y compris sa Banque centrale. Nous pensons que ce statut est de plus en plus contesté sur tous les fronts et que les élections de mi-mandat contestées de 2022 paralyseront davantage la politique intérieure et conduiront presque certainement à une élection présidentielle chaotique en 2024. De nombreux Américains ont déjà perdu confiance dans le système électoral et dans leurs institutions. Nous pensons que 2022 pourrait être l’année où d’autres pays commencent à perdre confiance dans les institutions américaines et que cela pourrait avoir un effet sur le dollar américain. Cela nous pousse à réduire légèrement l’exposition non couverte au dollar américain dans les portefeuilles des clients par rapport à la devise d’autres marchés développés tels que l’Euro et le Yen. Cela se produira probablement dans une gamme de stratégies de titres à revenu fixe et d’actions. Et ce ne sera pas une question de market timing.

[1] Sauf indication contraire, le rendement est libellé en monnaie locale.

[2] Mesuré par la différence entre le rendement à l’échéance de l’indice au 31 mars 2021 et le rendement à l’échéance de l’indice au 31 décembre 2020.

[3] Pays qui sont signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, un traité international qui reconnaît l’existence de changements climatiques anthropogénique et fournit le cadre pour les négociations sur les changements climatiques. La Convention a été adoptée en 1992 au cours du sommet à Rio de Janeiro et est entrée en vigueur deux ans plus tard.

[4] Groupe International pour l’étude sur le climat

[5] Il s’agit des plans de réduction des émissions au niveau des pays élaborés pour la première fois en 2015 par les parties à l’Accord de Paris et qui doivent être renouvelés tous les cinq ans à compter de 2020.

[6] Source : Glasgow Climate Pact

[7] La principale question en suspens à l’article 6 consistait à éviter les situations dans lequel plus d’un pays pourrait revendiquer les mêmes réductions d’émissions.

[8] Voir Willis Towers Watson, Surveillance du financement des pensions, T3 2021, qui calculent un indice pour mesurer la valeur des actifs des régimes à prestations déterminées par rapport à la valeur actualisée de leurs passifs.

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