Revue des marchés du 2e trimestre 2022

COMMENTAIRE ÉCONOMIQUE

Aux prises avec les perspectives d'une croissance économique mondiale nettement plus faible et à une inflation qui s'enracine et atteint des niveaux jamais vus depuis plus de quarante ans, les marchés boursiers mondiaux ont chuté au cours du deuxième trimestre. Plus précisément, l'indice MSCI All Countries World et l'indice S&P 500 se sont repliés de -13,64 % et -16,25 %, respectivement. L'indice composé S&P TSX, doté d’une forte proportion de titres liés aux matières premières et qui avait largement échappé à la déroute des autres indices boursiers plus tôt dans l'année, a quant à lui reculé de -13,19 % au deuxième trimestre. C'est la première fois depuis le troisième trimestre de 2015 que les marchés boursiers mondiaux reculent au cours de trimestres consécutifs. La plupart des marchés boursiers ont perdu environ 20 % de janvier à juin 2022. La dernière baisse de cette ampleur dans un premier semestre s'était produite en 1970. C'est donc très inhabituel, mais il est intéressant de noter que des niveaux d'inflation inconfortablement élevés et un ralentissement de l'économie sont également devenus problèmes en 1970[1].

Les optimistes sont prompts à souligner que les marchés boursiers ont généralement enregistré de solides performances au cours des douze mois suivant des baisses de plus de dix pour cent. Bien que ces affirmations soient exactes, la majorité des baisses et des reprises au cours du dernier demi-siècle ont été en grande partie dues aux oscillations naturelles du cycle économique. Les circonstances d'aujourd'hui sont différentes. Premièrement, il y a un conflit en Europe de l'Est qui augmente les risques de rupture d'approvisionnement pour un certain nombre d'industries clés dans le monde. Deuxièmement, les banques centrales tentent de mettre fin à une expérience titanesque d'assouplissement monétaire sans précédent qui dure depuis treize ans, ce qui risquerait d’entraîner de multiples conséquences imprévues. Troisièmement, juste au moment où nous pensions que la pandémie de COVID-19 était terminée, les nouvelles sous-lignées BA.4 et BA.5 du variant Omicron sont apparues et semblent capables de résister à l’immunité que procure les vaccins.

Pour ces raisons, nous restons prudents lorsqu'il s'agit d'ajouter du risque sur faiblesse, car nous estimons que les bénéfices des entreprises sont plus susceptibles d’être impactés à la baisse plutôt qu'à la hausse. Pourtant, les attentes en matière de bénéfices pour l'année civile 2022 sont en grande partie inchangées par rapport à ce qu'elles étaient il y a trois mois. Est-il possible que les sociétés, dans l'ensemble, génèrent des bénéfices qui égalent ou dépassent les attentes ? Oui, c'est possible. Est-ce probable ? Dans le contexte actuel, nous ne le pensons pas. Incidemment, le prix à terme de l'électricité dans un an dans des pays comme l'Allemagne et la France s’inscrit dans une trajectoire parabolique. Cela comprimera sûrement les marges bénéficiaires d'un large éventail d'entreprises et cela ne se reflète pas encore dans les prévisions de bénéfices.

Les investisseurs à la recherche d'un sursis dans les titres à revenu fixe ont de nouveau été déçus au deuxième trimestre. En effet, l'indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global Government Bond Index a baissé de 4,38 %, portant les pertes depuis le début de l'année à près de 9 %, la pire performance pour les obligations gouvernementales depuis 1980. Par ailleurs, l’indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global Corporate et l'indice ICE Bank of America Merrill Lynch Global High Yield ont respectivement baissé de 6,57 % et 10,09 %. De telles baisses ne sont pas surprenantes, car les obligations d'entreprises ont tendance à sous-performer les obligations gouvernementales lorsque l'économie ralentit en raison d'un risque de défaut accru perçu. Nous notons que la performance trimestrielle de l'indice Global High Yield est la pire depuis 2008, les capitaux fuyant les secteurs à haut risque. Nous pensons d’ailleurs qu'aucun secteur n'incarne mieux ce phénomène que le celui de la cryptomonnaie qui s'avère être l'équivalent contemporain du secteur bancaire parallèle de 2008, bien qu'à une échelle considérablement plus petite, heureusement. Selon nous, les effondrements successifs de Terra, des sociétés de prêt de cryptomonnaie Celsius et Voyager et la faillite du fonds spéculatif de cryptomonnaie Three Arrows Capital (« 3AC ») ne sont pas des événements isolés. Nous les percevons plutôt comme des dominos dans une longue chaîne de participants sous-capitalisés qui étaient tous des contreparties les uns aux autres.

La performance des marchés des matières premières a divergé de celle des autres classes d'actifs au cours du trimestre. En effet, l'indice S&P GSCI Commodities a affiché un rendement de 2,01 %. Fait intéressant, les matières premières se négociaient à un niveau significativement plus élevé en début de juin avant d’amorcer un repli lorsqu’il s’est avéré que des prix plus élevés contribuaient à la réduction de la demande, en particulier pour les métaux industriels. Sur une note quelque peu connexe, il n'y a pas eu beaucoup de nouvelles positives et dignes de mention au cours du trimestre, mais l’une de celle qui a tout de même retenu notre attention a été la reprise de l’île aux Serpents (aussi appelée île Zmiïnyï en ukrainien) par l'armée ukrainienne le dernier jour du trimestre. La Russie occupait l’île aux Serpents depuis les derniers jours de février. Tandis que la propagande du Kremlin suggère que les troupes russes ont quitté l’île dans un geste généreux de bonne volonté, la réalité est qu'elles ont été forcées de partir après avoir été bombardées avec succès par l'artillerie ukrainienne. Pourquoi est-ce important ? Bonne question, puisque l’île aux Serpents est après tout un tout petit rocher d'une dimension inférieure à 0,2 kilomètre carré (à titre de comparaison, l’île des Sœurs fait plus de 20 fois cette taille). Or, l’île aux Serpents est peut-être petite, mais elle a une grande importance stratégique. Elle est située à environ 45 kilomètres au large du delta du Danube et lorsque les forces ukrainiennes reprendront le contrôle et installeront un site de lancement insubmersible (basé sur terre) pour les nouveaux missiles Harpoon[2] (gracieuseté de l'OTAN), la marine russe sera contrainte de se replier 150 milles nautiques plus loin dans la mer Noire. Cela peut s'avérer suffisant pour permettre à l'Ukraine de dégager en toute sécurité une voie de navigation vers le Bosphore (Turquie) et la mer Méditerranée à travers les mines marines qui bloquent la route vers Odessa et protègent les navires de ravitaillement de l'ingérence russe. Si des navires bloqués depuis quelques mois peuvent soudainement passer avec une large gamme de marchandises agricoles et de produits de base, les pressions inflationnistes seront assurément atténuées à une échelle relativement importante.

GAGNER AU TIC-TAC-TOE

À moins que vous ne soyez le fier parent d'un jeune enfant ou que vous ne travailliez dans une maternelle, vous n'avez probablement pas joué au tic-tac-toe récemment, car c'est relativement fastidieux. La plupart des parties se terminant par des matchs nuls. C'est en fait un jeu auquel vous ne pouvez pas perdre si vous ne faites pas d'erreur et auquel vous ne pouvez pas gagner si votre adversaire ne fait pas d'erreur. En d'autres termes, le tic-tac-toe n’a pas pour but de remporter de victoire. Il s'agit plutôt d'éviter de perdre et pour ce faire, vous devez apprendre à éviter de commettre des erreurs. Si vous jouez à un grand nombre de jeux de tic-tac-toe en vous concentrant sur l’objectif de ne pas faire d'erreurs, à moins que votre adversaire ne joue de la même manière programmatique, il y a de fortes chances que votre adversaire finisse par commettre des erreurs et que vous gagniez au terme d’une série de parties.

Nous pensons que l'investissement à long terme, en tant qu'activité, ressemble beaucoup à une longue série de jeux de tic-tac-toe en ce sens qu'il s'agit davantage d'éviter les erreurs que d'essayer d'être plus intelligent que notre adversaire ou de trouver de meilleures idées. Cette prémisse peut sembler contre-intuitive étant donné la conception générale de l'industrie de la gestion des investissements[3], mais elle n'est pas nouvelle. En fait, c'est l'idée que Charles D. Ellis a exposée dans son article fondateur de 1975 intitulé The Loser's Game[4]. C'est pourquoi notre processus de diligence raisonnable ne se concentre pas sur l'identification de ce que nous pensons être des stratégies ou des fonds d'investissement supérieurs, mais plutôt sur l'identification des risques excessifs pour lesquels les investisseurs ne sont pas indemnisés. L'idée n'est pas d'essayer de nous convaincre qu'un gestionnaire particulier est meilleur ou plus intelligent, mais plutôt qu'il ou elle a mis en place des processus qui minimisent les risques; ces risques qu’il ou elle fasse des bêtises, s'écarte de son mandat, soit trop emballé par de nouvelles idées brillantes (comme les protéines alternatives, le cannabis, les véhicules électriques ou les cryptomonnaies), s'endette trop ou se laisse tenter par des actifs non liquides. Ce sont les erreurs fatales à éviter dans ce jeu. Cela ne signifie pas que nos gestionnaires ne perdront jamais, mais simplement que nous pensons pouvoir gagner sur le long terme, tout comme nous pouvons jouer au tic-tac-toe en évitant les grosses erreurs que feront inévitablement les autres.

Chez Patrimonica, nous sommes fiers d'être obsédés par l'analyse des risques. Nous consacrons un temps considérable à identifier et mesurer les risques présents dans les stratégies d'investissement que nous préconisons. C'est un exercice que nous estimons absolument nécessaire. Pourquoi? Parce que le risque est une ressource finie qui doit être répartie judicieusement et nous pensons que cela ne peut être réalisé qu'en déterminant les sensibilités (y compris les sensibilités cachées) des différentes stratégies à un large éventail de facteurs de risque en plus de leur valeur ajoutée potentielle. Pour en revenir à notre analogie du tic-tac-toe, nous pensons qu'une bonne analyse des risques est ce qui nous permet d'éviter les erreurs qui consistent souvent à déployer trop de capital (ou de risque), là où nous ne sommes pas récompensés en conséquence. C'est ainsi qu'on évite de perdre à ce jeu.

[1] Aux États-Unis, l'inflation avait de nombreuses causes, notamment le choc de la demande créé par la guerre du Vietnam et le plafonnement de la production de pétrole aux États-Unis qui a provoqué, entre autres, des pénuries de mazout.

[2] Missile antinavire transhorizon longue portée tout-temps, développé par la société américaine McDonnell Douglas (rachetée par Boeing en 1997)

[3] Nous pensons que le secteur de la gestion des investissements privilégie encore fortement l'analyse des titres plutôt que la construction de portefeuille, le contrôle des risques et la réflexion multiactifs, à en juger simplement par le nombre de ressources employées dans chaque domaine.

[4] Charles D. Ellis, “The Loser’s Game,” The Financial Analysts Journal, Vol. 31, No. 4, July/Aug 1975, 19-26. New York: Financial Analysts Federation

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