Revue des marchés du 4e trimestre 2022
COMMENTAIRE ÉCONOMIQUE
Toutes les catégories d’actifs ont connu l’agitation du dernier trimestre de 2022. Plus précisément, les participants du marché ont d’abord été encouragés par des résultats trimestriels généralement au-delà des attentes aux États-Unis, par des signes de décélération de l’inflation et par la résilience du marché du travail. Ainsi, les principales places boursières ont bondi de plus de 10 % entre le 1er octobre et le 30 novembre 2022. Cependant, ce sentiment a changé lorsque le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a réitéré qu’il était prématuré d’envisager le ralentissement du rythme des hausses de taux d’intérêt et que de nouvelles mesures de confinement liées à la COVID avaient été émises en Chine. Les deux manchettes ont été considérées comme pouvant nuire aux chances d’une reprise de croissance, ce qui a conduit les marchés boursiers à effacer une partie de leurs gains à la fin du trimestre. En fin de compte, le MSCI All Countries World Index[1], le S&P 500 Index et le S&P TSX Composite Index ont progressé de 7,36 %, 7,42 % et 5,96 %, respectivement, au cours du trimestre. Néanmoins, cette performance laisse un goût amer étant donné que les mêmes indices ont terminé l’année 2022 avec des baisses de -15,98 %, -18,51 % et -5,84 %, respectivement, leur pire depuis 2008.
D'un point de vue stylistique, les titres de valeur ont surpassé les titres de croissance, un écart de plus de 10 % au cours du trimestre et de près de 25 % pour l'année; c’est le bouleversement d’un paradigme qui aura marqué les 10 années précédentes. Ce surpassement est une conséquence de la performance du secteur de l'énergie qui est fortement représenté dans les indices de valeur, alors que les secteurs des biens de consommation cyclique et de la technologie sont plutôt liés aux indices de croissance. Par ailleurs, le secteur de l’énergie est celui s’étant le plus apprécié au cours du trimestre, car la perspective d'une pénurie de gaz naturel imminente en Europe occidentale aiderait les producteurs de pétrole et les raffineurs à préserver leurs marges malgré le ralentissement de l'économie mondiale. En revanche, les secteurs des technologies de l’information et de la consommation discrétionnaire ont été à la traine, car les fêtes de fin d'année représentent maintenant une période incertaine pour les détaillants et les constructeurs automobiles.
La reprise des titres à revenu fixe a été moins marquante; les participants du marché tentaient de concilier l'évolution de l'inflation avec l’évolution de la croissance tout en étant peu rassurés par les indications prospectives données par les banques centrales. La quasi-absence d’émissions et de défauts d’obligations d'entreprises a aidé le marché du haut rendement à enregistrer la meilleure performance avec un bond de 5,03 % au cours du trimestre (ICE Bank of America Global High Yield Index), devant le gain de 3,22 % des obligations corporatives ICE Bank of America Global Corporate Index). Les banques centrales ont maintenu leur politique de resserrement. Conséquemment les obligations gouvernementales ont moins bien performé en raison de leur sensibilité aux taux d'intérêt. D’ailleurs, le ICE Bank of America Global Government Bond Index a enregistré une perte de -0,31 % au cours du trimestre. Alors que les taux d'intérêt à court terme montaient sans cesse, les instruments de revenu fixe à taux variable, dont le taux de paiement du coupon augmente avec la hausse des taux d'intérêt, ont généralement mieux performé au cours d'une année plutôt difficile. Le ICE Bank of America Floating Rate Treasury Index a augmenté de 1,01 % au quatrième trimestre et de 2,08 % pour l’année 2022.
Bien que la dette à taux variable ait affiché un rendement positif modeste, les instruments à courte durée, quant à eux, ont enregistré des pertes moyennes limitées. Même si la plupart des marchés à revenu fixe ont connu une bonne performance au cours du dernier trimestre de l’année, pratiquement toutes leurs stratégies ont enregistré des pertes de -10 % à -15 %. La dernière fois qu’un rendement aussi médiocre avait été observé dans ce qui est généralement perçu comme une catégorie d’actifs défensifs, Pierre Elliot Trudeau était premier ministre du Canada et René Lévesque son homologue du Québec.
Le marché des matières premières, comme représenté par S&P GSCI Commodities Index, a connu une hausse de 3,44 % durant le trimestre et a terminé l’année avec un rendement de 25,98 %. L’observation des différentes composantes révèle une image mitigée; les groupes des métaux affichent de solides gains tandis que le secteur de l'énergie et le secteur agricole sont demeurés stables au cours du trimestre.
RÉGLAGE DES PORTEFEUILLES POUR 2023
Je crois que l'année 2023 obligera les professionnels de la gestion de placements à procéder à divers ajustements dans leur programme. En effet, pour la première fois depuis la grande crise financière (Global Financial Crisis – « GFC ») de 2008, la politique monétaire ultra accommodante est moins susceptible de venir au secours des actifs risqués lors de fortes baisses. Comme je l'ai déjà mentionné, les banques centrales du monde occidental, par leurs actions concertées, ont été les principaux contributeurs de l'agrandissement de l'écart des actifs financiers entre leur prix et leur valeur intrinsèque, et de la réduction de la volatilité. Bien que je m'attende pleinement à ce que les banques centrales continuent d'intervenir en cas de perturbation grave et subite du marché, je pense que leurs actions ne seront probablement plus illimitées. Lors d’un retour à la normale, je pense que les banques centrales seront plus tolérantes aux baisses et que cela se traduira par des mouvements prononcés rapides et des tendances plus durables au sein des marchés. Indirectement, cela signifie que le niveau de risque latent sur le marché est peut-être plus élevé qu'à tout autre moment depuis la GFC. Du point de vue de la construction de portefeuille, cela signifie que si la répartition d'actifs d'un portefeuille a été calibrée afin de cibler un niveau de risque précis il y a quelques années, il vaudrait probablement mieux la revoir, car ce portefeuille a nécessairement un risque plus élevé aujourd’hui en raison des événements récents. Incidemment, nous avons réduit l'exposition aux actifs plus risqués dans les portefeuilles discrétionnaires depuis la fin de 2021 et nous maintenons cette position en amorçant l’année 2023. Nos recommandations abondaient dans le même sens pour les mandats de gestion non-discrétionnaires.
Quand je me demande ce qui me donnerait envie d'adopter une position plus optimiste, je me dis encore une fois que le réflexe programmé de rééquilibrer en favorisant les actifs risqués chaque fois qu'ils baissaient de 5 % à 10 % n'est plus une option. À l'avenir, cela dépendra de la mesure dans laquelle le sentiment et le consensus se sont détériorés par rapport à ce qui se passe réellement. En fait, c'est ainsi que cela fonctionnait avant 2008.
L'augmentation persistante de l'inflation, qui a déclenché l'augmentation la plus rapide des taux d'intérêt à court terme en quatre décennies, a pris presque tout le monde – moi y compris – par surprise en 2022. Bien que l'inflation puisse demeurer au-dessus de la zone de confort des banques centrales pendant quelques années, à court terme, les préoccupations entourant l'inflation passeront de son niveau absolu à son éventail possible dans quelques années. Voici pourquoi.
Les banques centrales sont inébranlables dans leurs efforts de freiner les vecteurs de l'inflation causés par une demande globale robuste. Ils relèvent le coût d’emprunt pour inciter les agents à épargner et à retarder les décisions de consommation. En constatant les fortes baisses de prix des maisons neuves, des ventes de voitures et des biens durables, la mesure semble efficace. Il existe des variables qui stimulent l'inflation sur lesquelles les banques centrales n'ont que peu ou pas de contrôle et leurs impacts sont difficiles à prédire. D’abord, la population en âge de travailler va diminuer dans les pays développés. Cette variable est potentiellement inflationniste puisqu’il y aura moins de travailleurs et ceux qui entreront sur le marché du travail seront généralement moins productifs que ceux qui en sortent. Si les mouvements ouvriers réussissaient à s'organiser dans les pays en voie de développement comme ils l’ont fait chez nous il y a un siècle, la variable serait encore plus inflationniste, car cela aurait un impact sur le prix des importations dans les pays développés. Puis, les tensions géopolitiques persistantes qui indiquent probablement que la mondialisation a atteint son apogée. Ce qui signifie que des chaînes d'approvisionnement complexes devront être reprogrammées et de multiples redondances devront être prévues. Cette variable est également inflationniste, mais variera considérablement d'un secteur à l'autre. Finalement, il y a la transition vers une économie à faibles émissions de carbone qui entraîne des inadéquations entre l'offre et la demande d'énergie. Une autre variable inflationniste et très volatile selon le pays. Dans l'ensemble, je n'écarte pas la possibilité que les banques centrales parviennent à causer suffisamment de dégâts pour que la demande de biens et de services se normalise à un niveau qui se traduirait par une stabilisation de l'inflation autour de 2 % comme elle l'a fait au cours des 20 années qui ont précédé 2021, mais je pense que cela est devenu de plus en plus improbable.
Il faut se demander si tout cela se reflète dans les marchés? Fait intéressant, malgré ce portrait flou du côté de l'offre, les anticipations d'inflation au cours des cinq et dix prochaines années aux États-Unis sont essentiellement au même niveau qu'il y a deux ans. En fait, bien que l'inflation ait atteint des niveaux jamais vus depuis quarante ans, les titres indexés à l’inflation – Treasury Inflation Protected Securities (« TIPS ») – n'ont pas fait mieux que les obligations gouvernementales nominales au cours de la dernière année. Indirectement, le consensus indique que l'inflation à long terme chutera au niveau observé pendant la décennie prépandémie d'ici quelques années. Je pense que c'est optimiste et en tant que tel, les TIPS pourraient représenter une option peu dispendieuse et plus performante que les obligations nominales dans l’éventualité d’un désencrage des anticipations d'inflation à long terme. Nous cherchons des moyens concrets d'exprimer ce point de vue au bénéfice de nos clients, afin d'améliorer les rendements ajustés au risque.
Puisqu’on parle des obligations nominales, le rendement à maturité des obligations d'entreprises de haute qualité avec échéances avant 2028 dépasse désormais 5 %. Ce niveau est supérieur au niveau attendu des taux directeurs à la fin du cycle haussier actuel. Par conséquent, je pense qu'il existe un risque de perte minime pour ce segment. Il représente également une alternative intéressante aux liquidités avec l'avantage potentiel d’appréciation du principal en cas de baisse des taux d'intérêt à court terme par rapport à ceux à moyen terme. Petite anecdote, il y a un an, il était presque impossible d'obtenir des rendements sans risque ou quasi sans risque supérieurs à 2 %, et impossible d'espérer des rendements supérieurs à 5 % sans faire le plein d’obligations à haut rendement et de titres d’émetteurs dans les marchés émergents. En fait, ce fut le cas pendant la majeure partie de la dernière décennie au cours de laquelle il n'y avait pas d'alternative aux actions. Eh bien, les alternatives coulent à flot de nos jours. Je suis moins enthousiasmé par les obligations à plus longue échéance, en particulier les obligations gouvernementales. Premièrement, la structure à terme des taux d'intérêt est inversée tant au Canada qu'aux États-Unis, ce qui signifie que le rendement à maturité des obligations à long terme est inférieur au rendement à maturité des obligations à court terme. Même si c'est souvent le cas dans les mois qui précèdent une récession, on constate que le niveau actuel d'inversion est proche d'un record absolu. Pour cette raison, les investisseurs ne semblent pas correctement rémunérés pour le risque lié à l’incertitude supplémentaire pour une échéance plus éloignée. De plus, comme la Réserve fédérale a commencé à réduire son bilan et n'achète plus d'obligations émises par le Conseil du Trésor, les futures émissions de dette publique américaine auront un acheteur de moins sur lequel compter. Considérant que l'achat d’obligations souveraines par les banques centrales a supprimé artificiellement les taux d'intérêt d’approximativement 1 %, la voie de moindre résistance pour les taux obligataires gouvernementaux à long terme devrait être à la hausse. En fin de compte, les bons du Trésor à long terme devraient rester de bons actifs défensifs dans le cas où la croissance ne sera pas au rendez-vous, mais ils performeront probablement mal dans presque tous les autres scénarios imaginables. Il est acceptable d'en détenir à des fins de contrôle de risque, mais nous continuons de recommander une petite pondération.
En ce qui concerne les actions, nous sommes à l'aise avec la gamme actuelle de gestionnaires employés et le positionnement général. Notre répertoire est bien diversifié géographiquement, stylistiquement, du point de vue de la capitalisation boursière et de l’approche générale. En amorçant 2023, nous maintenons des inclinaisons mineures vers la valeur et la faible volatilité, bien qu'à un dosage plus faible qu'il y a un trimestre. En ce qui concerne les attentes de performance à court terme, nous n'avons aucune conviction forte dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, nous notons que la majorité des stratèges et pronostiqueurs de Wall Street pensent que le S&P 500 augmentera de 4 % à 12 % au cours des 12 prochains mois. Compte tenu du niveau du taux directeur et de celui des primes de risque des actions, c’est fort possible. Néanmoins, puisque nous prévoyons un écart-type annualisé de 12 % pour la catégorie d'actifs, il serait plus prudent d'affirmer qu'il y aura environ deux tiers des chances que les indices d’actions reviennent entre -5 % et +20 %. Nous soulignons que le consensus actuel est que les bénéfices du S&P 500 Index augmenteront de 4,4 % en 2023. On pourrait remettre cela en question si une récession avait lieu, car les bénéfices ont eu tendance à baisser de plus de 10 % lors des ralentissements économiques antérieurs.
En ce qui concerne les alternatives liquides, notre fonds de fonds de couverture est l'un des rares points positifs en valeur absolue en 2022. Ce fonds a accueilli son huitième gestionnaire le 1er janvier 2023. Avec l’arrivée de ce dernier, nous étendons notre couverture. Nous sommes à l'aise de maintenir une légère surpondération compte tenu de sa capacité éprouvée à générer des rendements positifs lors de perturbations du marché et aussi en raison des avantages de diversification qu'il offre dans un contexte où, à notre avis, la probabilité d'une reprise conjointe des actions et des obligations est mince.
Finalement, du côté des stratégies alternatives moins liquides, nous continuons de préconiser une approche qui vise l’atteinte et le maintien d’une cible de répartition au bout de plusieurs années suite à l’établissement d’un programme d’engagement. Comme chaque année, nous prévoyons proposer un éventail relativement restreint de fonds répartis au sein des principales catégories, soit le capital-actions des sociétés privées, le développement immobilier et l’infrastructure. Compte tenu de la hausse des taux, nous prévoyons porter une attention plus particulière à la dette privée avec une emphase distincte sur les stratégies ou secteurs où un déficit de capital se profile.
[1] La performance de l'indice est rapportée sur la base du rendement total en devise locale, à moins d’avis contraire.